2024 年 125 巻 p. 83-98
Le regard et le roman chez Milan Kundera
Relecture de La vie est ailleurs
Tomoya TAMURA
Le troisième roman de Milan Kundera (1929-2023), La vie est ailleurs (1973), est une œuvre dans laquelle l’auteur tente de rompre avec son passé de poète lyrique et de s’exprimer en tant que romancier. Cette intention se manifeste d’abord dans la dimention narrative. L’écrivain invente le concept d’« observatoire » grâce auquel le narrateur observe les personnages et, en utilisant la personne « nous », il invite le lecteur à adopter ce point de vue. La mise en valeur de cette nature visuelle de la narration est étroitement en lien avec la notion de « lyrisme », résumée comme l’état de perte de distance réfléchie à l’égard du monde. L’accent mis sur la visualité narrative exprime le regard critique par rapport au monde.
Nous cherchons dans cet article à souligner que les termes utilisés pour décrire cette dimention narrative présentent une parenté avec les expressions sur le regard du poète lyrique Jaromil, le protagoniste de La vie est ailleurs, afin de retracer le dessein kundérien d’auto-définition de la forme artistique du roman même.
Le poète apparaît comme un jeune homme qui exige des lecteurs un regard contradictoire avec la perspective narrative de ce roman, c’est-à-dire un regard impuissant envers son œuvre. Il écrit des poèmes sur la base de son propre vécu, cependant il ne souhaite partager avec personne ses expériences décrites dans ses vers. Ses poèmes refusent donc le regard du lecteur, à l’inverse du roman qui partage la perspective du narrateur avec le lecteur via « nous ». Nous pouvons voir un contraste conscient, établi par Kundera entre la poésie de Jaromil et l’état du narrateur, soulignant son intention de définir le roman comme un art « antilyrique ».