2024 年 125 巻 p. 99-113
Du deuil à la « Vita Nova »
Sur les influences dantesques chez Roland Barthes
Saki ISHII
Le présent article analyse les textes de Roland Barthes parus entre 1978 et 1980, centrés sur le projet d’écriture romanesque intitulé Vita Nova. Après la mort de sa mère, au bout d’un deuil d’environ six mois, une sorte de révélation le ramène sur le chemin de la littérature : il écrira un roman comme un « monument » érigé pour commémorer la mort de sa mère. En 1978, dans la conférence, il annonce la rédaction d’une œuvre en relation aussi bien avec Proust qu’avec le poète italien, Dante Alighieri. De nombreux travaux ont été consacrés aux relations entre Barthes et Proust ou, quoique dans une moindre mesure, entre Dante et Barthes, et leurs conclusions ont fait l’objet de parutions très récentes. Ces études ont tendance à séparer ces deux auteurs de référence, alors même que, dans une conférence dont le titre reprend justement l’incipit d’À la Recherche du temps perdu, Barthes cite Dante un considérable nombre de fois.
Ce travail se propose de réexaminer des influences de Proust et de Dante sur Barthes au moment où celui-ci élabore le plan de sa Vita Nova. En premier lieu, nous nous intéresserons à l’expression de « conversion littéraire » utilisée par Barthes pour désigner le moment où il a pris la décision d’écrire un roman inspiré de Proust. Nous découvrirons ensuite comment les réflexions de Barthes ont intégré certaines figures dantesques dès 1978. Enfin, cette étude révèlera la singularité du « choc créatif » reçu par Barthes à la lecture de Dante, qui tient au schéma de la Divine Comédie et au rôle de guide attribué à Béatrice, pour en arriver à la conclusion que le projet de Vita Nova constitue, de la part de Barthes, une tentative pour faire de sa bien-aimée, en l’occurrence sa mère, une figure féminine sacralisée, trônant dans l’éternité textuelle, de la même façon que Dante l’avait tenté pour Béatrice.