Comme Michel Raimond l'a bien montre sous le nom de la <<crise du roman>>, beaucoup de romans post-naturalistes cherchent, en se debattant, une nouvelle voie de l'art romanesque pour depasser l'esthetique naturaliste. Malgre son debut tardif en 1932, Celine n'est pas indifferent non plus a cette situation du genre romanesque. S'il refuse le recit traditionnel a la troisieme personne, comment Celine va-t-il forger la forme romanesque adequate a son epoque ? C'est ce que nous voudrions aborder ici a partir de la question du genre litteraire, surtout de l'influence des genres poetiques. Voyage au bout de la nuit, roman a la premiere personne, est deja marque par quelque ambiguite generique qui provient, selon nous, d'une oscillation du statut du sujet d'enonciation. Le narrateur <<je>> qui parle par sa propre voix, decrit le monde vu et senti, en recourant aux metaphores abondantes qui depassent largement l'expression du a la seule vision. Mais, Celine introduit aussi un autre sujet <<nous>> ou <<on>> qui permet de faire partager aux lecteurs ses experiences et idees personnelles. Par ailleurs, l'ecrivain faisant <<delirer>> le narrateur Bardamu, <<barde>> moderne, tente de montrer une epopee d'un autre personnage fort symbolique, Robinson, enfant perdu de la Grande Guerre. Or, dans Feerie pour une autre fois, ecrite apres la Seconde Guerre mondiale, l'interet de l'ecriture se penche sur la reproduction des moments memes de l'emission de voix pour revivre ainsi le temps passe. Si Celine, ne se contentant pas du seul titre de roman, genre fictif en principe, cherche a procurer a ses derniers ecrits le statut de <<chronique>>, c'est pour garantir la veracite de ce moment emotif de ses souvenirs. Selon les <<sautes d'humeur>> qui abolit la temporalite du recit, la narration de Feerie, depourvue du point d'ancrage de toute parole, forme ainsi le sujet lyrique mouvant, entre fiction et poesie.
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