2024 Volume 30 Pages 53-64
Les oeuvres d’Ernaux sont souvent considérées comme des analyses de son vécu ou de l’expérience collective, ne serait-ce que parce que l’auteure elle-même emploie parfois le terme « auto-socio-biographie » pour désigner son travail. Cette appréciation est certes correcte à partir de La Place, mais auparavant, il faut signaler le cas d’un roman de jeunesse, resté inédit, qui, à l’en croire, développait une vision de la réalité n’existant qu’au travers d’images strictement personnelles : « la réalité de soi n’existe pas en dehors des images » du passé, du présent et de l’avenir. Or, toujours selon Ernaux, cette vision ne parvient pas vraiment à prendre corps dans cet ouvrage de jeunesse, et ne se concrétisera que plus tard, dans Les Années.
Nous aborderons d’abord la notion d’image comme réalité au travers des écrits et des journaux intimes, partant de l’idée que l’équation ainsi posée revêt une importance particulière pour l’auteure ces dernières années. Puis nous conduirons une étude de cas à propos du récit Mémoire de fille : notre analyse des images conçues par la narratrice confirme que la sensation personnelle de la réalité constitue un fil conducteur de l’oeuvre. Enfin, si loin les images nous entraînent-elles de l’« auto-socio-biographie », nous montrerons comment Mémoire de fille parvient à relier les ressentis personnels à l’histoire et à la société afin de saisir la réalité exacte de la honte d’une manière dont seule la littérature est capable.