2018 Volume 64 Issue 2 Pages 144-160
Marie Jaëll, pianiste et compositrice française du XIXe siècle, est aussi connue en tant
qu’éducatrice et théoricienne ayant usé de méthodes originales dans l’éducation du piano,
influencées par les sciences positives de l’époque. Parmi le large éventail de ses activités,
« l’utilisation des empreintes digitales » nous intéresse particulièrement pour cet article: une des
méthodes les plus centrales dans ses recherches. Notre objectif: déchiffrer les bases scientifiques
présumées soutenir théoriquement et esthétiquement cette méthode singulière de Jaëll; mais aussi
revaloriser sa pensée musicale née dans la pratique de cette méthode. Dans ce but, nous
démontrons d’abord que les empreintes digitales introduisent dans sa théorie le sens tactile comme
facteur primordial, puis analysons le rôle unique que Jaëll lui attribue.
Jaëll a initialement adopté les empreintes comme un moyen “objectif ” d’enregistrement des
mouvement du pianiste. Cependant, ces empreintes deviennent ensuite selon Jaëll l’indice ou le
moyen d’une « cérébralisation » parfaite du mouvement artistique, mouvement que Jaëll a
poursuivi pendant toute sa vie en tant qu’idéal. Notre article observe que derrière cette conception
unique se trouve un lien beaucoup plus subtil, voire caché, avec les nombreuses discussions d’alors
autour du langage et du langage musical dans le domaine de la « psychologie pathologique » de
l’époque.
Notre étude met en effet en lumière qu’une des clefs les plus remarquables de la théorie du jeu
pianistique de Jaëll consiste en la réévaluation originale qu’elle fit du sens tactile, considéré comme
le plus corporel, en lui donnant un rôle davantage intellectuel censé organiser ou synthétiser les
éléments du langage musical. Enfin notre conclusion tente d’établir que les empreintes digitales
enregistrées, bien que devenues bien dépassées en tant que méthode scientifique, se trouvent entre
la graphie scientifique et “l’image” esthétique. En cela, elles jouent un rôle critique irremplaçable
pour la formation de telle philosophies musicales comme celle de Marie Jaëll.