2023 Volume 123 Pages 119-132
Regard et subjectivité
Relecture de Nathalie Granger à travers le point de vue des personnages féminins et de Marguerite Duras
Tomoya BABA
Dans l’œuvre de Marguerite Duras (1914-1996), nombreux sont les personnages qui sont caractérisés par des termes négatifs tels que « manque » d’intelligence ou « absence » de mémoire. En effet cette tendance se remarque le plus souvent dans les descriptions de leur regard, vide et absent, où l’objet visible n’apparaît pas comme tel.
Cependant le fait de considérer ces personnages comme mystérieux et incompréhensibles à cause de leur regard sans objectif n’implique-t-il pas que nous dénions leurs propres logiques, c’est-à-dire la subjectivité qui leur est intrinsèque ? Nous examinerons dans cet article plus précisément Nathalie Granger (1973) qui fait ressortir des traits essentiels de ce regard chez l’auteure ainsi que ses personnages féminins, pour tenter de redéfinir ce regard de façon positif contrairement aux études qui précèdent.
En effet, si l’auteure ne réduit pas ce regard à un simple signe de l’irreprésentable dans son texte, c’est qu’elle est bien consciente d’embrasser le même point de vue que ses personnages. D’où s’impose la remise en cause de la première perspective, pour réfléchir sur la perméabilité de la communication parmi ceux qui partagent la même façon de voir.
Dans ce contexte, nous analyserons Nathalie Granger à partir d’une expression que la narratrice emploie : « elle regarde » qui, n’ayant pas de complément d’objet direct, souligne d’autant plus le regard lui-même. Nous remarquons ainsi, comme le dit Roland Barthes sur le « j’aime » chez Racine, que cette expression affirme tant l’essence de l’acte que l’existence même du personnage féminin.