2023 Volume 123 Pages 85-101
Francis Ponge, poète des Lumières ?
Science, Modernité, Autrui. À propos du Texte sur l’électricité
Shinsuke OTA
À partir de la période de la Seconde Guerre mondiale, Francis Ponge s’affirme en poète des Lumières qui s’attache à éclairer la vérité des choses. Mais dans ses œuvres, l’articulation de la poésie et de la science n’est pas toujours nette. D’où notre question : Ponge est-il vraiment un poète des Lumières ? Pour apporter une réponse à cette question, notre étude se propose d’examiner un des grands textes de cet auteur, le Texte sur l’électricité (1954).
Dans ce texte rédigé sur commande, Ponge se réfère aux ouvrages des savants pour en composer un « hymne à l’électricité ». La recension des ouvrages scientifiques lui permet de conclure que la science des hommes n’a aucunement progressé. Ce faisant, il évoque un changement de la sensibilité après l’installation de l’électricité dans la vie, quì est qualifié de « modification irréversible du goût ». Qu’est-ce que Ponge problématise dans cette observation ?
L’analyse et la lecture du texte montrent que Ponge voit dans l’électricité deux éléments. L’un est sa commodité, souvent liée à sa modernité, l’autre son caractère qui échappe à l’intelligence et à la perception. C’est ce second qui a exercé une influence profonde sur la sensibilité des hommes : en les privant du contact direct avec le monde, l’éléctricité a rendu ce dernier impénétrable ou « discontinu ». Le concept d’« autrui », proposé par Deleuze, nous permet de mieux comprendre la portée épistémologique de ce texte. Dans la dernière partie de l’œuvre s’expliquent l’éthique et l’esthétique de ce Nouveau Monde. Ce n’est plus le savant qui y prononce la vérité, mais le poète qui accomplit cette tâche sacrée, tel un « prophète ».