2024 Volume 30 Pages 29-40
Cet article a pour but de confronter le « Clavecin oculaire » conçu par le père jésuite Louis Bertrand Castel (1688-1757) à son appropriation philosophique par Diderot (1713-1784). Nous nous appuyons à cette fin sur les études les plus récentes consacrées à ce père et au contexte de la présence jésuite en France. Dans la première moitié du XVIIIe siècle, face à l’essor de l’athéisme et au regain d’intérêt envers le paganisme, la Compagnie de Jésus s’est vue dans la nécessité de renouveler son système de savoirs, dans toute l’extension des divers domaines qu’il couvrait, la théologie, l’anthropologie, les sciences et les arts... Pour situer la place de la musique oculaire de Castel dans cette constellation des savoirs jésuites, nous tentons de cerner la méthode rationaliste qui la sous-tend et le dessein théologique qui l’anime. Nous nous employons aussi à élucider le sens que prête à la musique son association à la notion d’idée innée. Puis nous nous intéressons à la façon dont, dans la Lettre sur les sourds et muets (1751) et l’article « Clavecin oculaire »(1753)de l’Encyclopédie, Diderot réinterprète la musique oculaire de Castel du point de vue sensualiste. Par la mise en débat du « Clavecin » de Diderot avec celui de Castel, nous nous appliquons ainsi à mettre en lumière le processus par lequel leurs idées respectives se sont mêlées dans la même démarche de reconstruction de la connaissance universelle.