抄録
Simone Weil a souvent critiqué la notion de « droit » dans ses écrits tardifs. Bien que cette réflexion soit liée aux circonstances de la fin de sa vie, elle doit également être considérée à la lumière de ses pensées antérieures. Cet article a pour but d’analyser le motif de cette critique en profondeur, en l’interprétant comme une tentative de surmonter la logique de la « force », l’un des défis majeurs auxquels elle a été confrontée tout au long de sa vie. D’après la réflexion qu’elle avait approfondie à travers ses expériences, tel que le travail en usine et la participation à la guerre, tous les êtres humains sont soumis à la force de manière égale, qu’ils l’exercent ou la subissent. Par un mécanisme psychique qu’elle nomme « pesanteur », les forts sont automatiquement poussés à exercer leur force, tandis que les faibles tendent à docilement l’accepter comme des esclaves. Dans cette dernière position, il est parfois vain de revendiquer ses propres droits, car, le droit étant par nature dépendant de la force, ceux des impuissants ne sont plus respectés par personne, y compris par eux-mêmes. Simone Weil affirme cependant que ce sont précisément ceux plongés dans un tel « malheur » qui peuvent pousser un cri empreint du « sacré », cet élan spontané né de la souffrance qui réveille chez l’individu le désir du bien pur. Ainsi, de par l’authenticité et l’universalité du désir, ce cri transcende les distinctions de forces et rend chaque être humain respectable. C’est pour ouvrir la possibilité de s’éveiller à ce respect universel et de l’assumer comme une « obligation » qu’elle préconise de limiter l’usage du mot « droit », exprimant ainsi le souhait d’une justice entièrement affranchie de la logique de la force.