Japanese Journal of Cultural Anthropology
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La communaute du silence : Reflexion sur le <<silence de respect>> chez les Manouches francais
Ryoko Sachi
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2014 Volume 78 Issue 4 Pages 470-491

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Abstract

Le silence est generalement defini par l'absence ou la solitude, par opposition a la parole, qui est une pratique de communication et de communaute. Mais est-il vrai que la communaute ne se trouve pas au sein du silence? Pour illustrer ce propos, nous avons examine le <<silence de respect>> chez les Manouches francais qui font partie des <<Tsiganes>> (Gypsies en anglais). Les Manouches ne parlent pas de leurs morts. Le defunt est ramene de l'hopital et place dans sa caravane durant les trois jours de veillee funebre qui precedent son enterrement. Tous les membres du groupe, y compris la famille eloignee, se reunissent autour de sa caravane pour lui faire leurs derniers adieux, et expriment leur chagrin par des gemissements, des lamentations ou des caresses. Pourtant, une fois l'enterrement termine, le <<silence>> s'instaure autour du defunt. La caravane et les objets lui ayant appartenu sont brules, detruits ou vendus. La famille et l'entourage cessent de prononcer son nom, n'evoquent pas son souvenir. Toutes ces attitudes sont toujours expliquees par rapport au <<respect>> : <<Il ne faut pas le dire, il faut du respect>>. P. Williams, a demontre a ce sujet que le <<silence de respect>> envers les morts n'est rien d'autre que la preservation de l'integrite du groupe. En identifiant le silence a <<l'oubli>>, il explique que le mort <<perd peu a peu ses caracteres singuliers. Il reste une fidelite a une entite - le groupe, les Manus, "nous" - dont les morts maintenant garantissent collectivement, anonymement, la perennite>> (Williams 1993 : 16) . On peut voir, dans cette formulation, l'idee de <<l'integration de l'individu a une totalite sociale>> : par la mort, l'individu singulier accede au statut d'ancetre, fondu dans un collectif anonyme, sans distinction d'individus. C'est ce que montre la plupart des recherches ethnographiques effectuees sur le deuil : en tant que phase liminaire du <<rite de passage>>, la periode de deuil permet de separer le defunt du monde des vivants pour l'accompagner dans celui des ancetres. Cependant, si l'on examine plus attentivement le processus de deuil chez les Manouches, on remarque que ce modele fonctionnaliste (le rite comme integration) n'est pas applicable a leur cas. En effet, le deuil des Manouches se prolonge par le silence qui l'entoure, de facon informelle et individualisee, et par consequent empeche l'accomplissement du rite de passage. Les differents rites de separation exposes par Hertz, Van Gennep et par d'autres ethnologues montrent comment le daunt est depersonnalise pour devenir un ancetre impersonnel, garant de l'ordre social. Cependant chez les Manouches, au contraire le daunt continue de garder sa propre personnalite, grace au silence des vivants qui l'entoure. Decrire les attitudes des vivants a l'egard du nom et des souvenirs se rapportant a un mort nous amene a remarquer que ce silence du respect apparait comme la garantie de la presence irremplacable du mort en tant qu'individu singulier. Ne pas appeler le mort par son nom, car le romano lap, nom utilise au sein de la communaute manouche, est unique pour chaque membre et ne peut etre reutilise ou transmis a un autre individu. Ne pas evoquer les souvenirs du mort, car les evenements qui marquent la vie de chacun sont intangibles et incommunicables. Les Manouches tiennent a la personnalite singuliere du mort et craignent de la detruire par la parole ou l'acte de representation. Sur ce point, la remarque de Williams est exacte : <<La possibilite de faire une erreur tourmente le vivant>> (Williams 1993 : 14) . Toutefois, il faut signaler que les Manouches gardent le silence, non pas pour oublier

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