2011 年 53 巻 p. 105-115
Dans le dernier roman de Fukunaga Takehiko (1918-1979), L'île de la mort (1971), le héros, Sôma Kanae, futur romancier, se recommande deux fois de l'œuvre de Thornton Wilder, The Bridge of San Luis Rey (1927). La dernière phrase de celle-ci correspond curieusement à la conclusion que se donne Sôma: « Il y a le pays des vivants et le pays des morts, et l'amour est le pont». À partir de ce constat, cet article développe la thématique du pont dans L'île de la mort, en particulier à la lumière de la mythologie. Une autre évocation du pont est faite par la peintre Motoko qui se réfère à la peinture d'Urakami Gyokudô (1745-1820). On y trouve souvent un personnage traversant le pont, vers le dehors du tableau. Il semble incarner le passage à la mort. Motoko, victime d'Hiroshima, se donne la tâche de représenter la mort dans son âme. Il lui faudrait désormais aller vivante au pays des morts. Jeter un pont (qu'est l'amour) serait une solution. Motoko échoue cependant ; elle se suicide et s'embarque elle-même dans la barque de Charon. C'est Sôma qui se décide, vivant, à écrire à la recherche des morts, à la manière d'Orphée. L'opposition barque/pont souligne ainsi le parti pris par Sôma-Orphée. Le pont, moins visible que la barque dans le roman, fonctionne de façon suggestive comme métaphore de l'écriture, de l'amour, du chant d'Orphée. Il fait partie, secrètement, de la structure mythologique de ce roman du deuil.