2016 Volume 11 Issue 1-2 Pages 11-28
Pour la grammairienne Shimamori, il est possible de rapprocher le vouvoiement français de la politesse énonciative japonaise car ces deux modes d’expression servent tous deux selon elle à instaurer une distance entre le locuteur et son interlocuteur. Il est vrai que cette distance dépend dans les deux cas des rapports interpersonnels, qui peuvent être de nature horizontale ou verticale, existant entre les participants de l’échange langagier. Ces modes d’expression obéissent cependant à des contraintes sociolinguistiques spécifiques aux communautés linguistiques francophone et japonaise. Le vouvoiement français opère ainsi dans le cadre de ce que les sociolinguistes Brown et Gilman appellent une « sémantique de solidarité », mais le teineigo japonais dans le cadre d’une « sémantique de pouvoir ». Si l’une comme l’autre de ces « sémantiques » permettent de concevoir deux types de relation interpersonnelle : égalitaire ou hiérarchique, la véritable différence entre vouvoiement et teineigo réside dans la fréquence relative de la réciprocité ou de l’asymétrie des emplois observés pour ces deux modes d’expression et, partant, dans la valeur – ou le trait – sémantique dont ils sont le plus souvent porteurs.
The Japanese grammarian Shimamori claims that the polite (i.e. non plural) pronoun of address vous in French can be compared to the Japanese teineigo, literally “polite language”, because these linguistic markers, or sets of markers, are used when the speaker wants to distance him or herself from the addressee. The distance thus established can indeed be measured in both cases either on a horizontal or a vertical axis depending on whether the resulting formality derives from a lack of intimacy between speakers or from the acknowledgment that one of the speakers holds a higher social status. The aim of this article is to show that while the French pronoun of address vous operates within a reference frame termed by Brown and Gilman as the “Solidarity Semantic”, the Japanese teineigo functions within a “Power Semantic” that posits a different reading of the interpersonal relationship between speakers, as evidenced by the asymmetry of use that characterizes Japanese polite language.