Les odeurs chez Chrétien de Troyes
Natsuki MUTO
Les oeuvres de Chrétien de Troyes ont fait l’objet de nombreux travaux. Cependant, ceux qui s’intéressent aux odeurs dans ses romans restent rares, alors que la perception olfactive est liée à la sainteté dans les textes hagiographiques. Or, les odeurs occupent une part essentielle dans les oeuvres de Chrétien. Dans cet article, nous montrerons, en comparant ses textes avec ceux de ses contemporains, son ingéniosité à cet égard.
Dans les oeuvres littéraires du XIIe siècle, nous observons que la plupart des occurrences des expressions olfactives figurent dans les descriptions d’enterrements ou du locus amoenus. Chrétien utilise ces expressions dans des scènes plus variées que chez d’autres auteurs.
Dans le Conte du Graal (Perceval) (vers 1182), l’énumération des épices et des breuvages, servis dans le château du Roi Pêcheur, marque la différence entre l’itinéraire de l’aventure de Perceval et celui de Gauvain. D’ailleurs, le vin aromatisé « sans miel ni poivre », tout à fait inconnu, souligne la spécificité de ce château.
L’évocation olfactive ne se limite toutefois pas au Conte du Graal, oeuvre volontairement mystérieuse. Dans Cligès (vers 1176), Chrétien confère un trait olfactif au breuvage préparé par Thessala. Ce faisant, il transforme le motif du philtre en potion dégageant une bonne odeur. De plus, l’odeur de Laudine qui se dissipe peut, dans le Chevalier au Lion (Yvain) (1177-1181), anticiper la séparation du couple.
Par ailleurs, Chrétien introduit les odeurs pour rehausser le merveilleux, dont la provenance est diverse : château mystérieux du Graal, breuvage magique d’origine antique et la dame de Landuc de la forêt de Brocéliande. Il est l’un des premiers auteurs à avoir innové les expressions olfactives dans ses oeuvres en langue vernaculaire, tout en s’inspirant de la tradition littéraire.