L’île « déserte ouverte » de L’Empreinte à Crusoé
les animaux naufragés chez Defoe, Tournier, Chamoiseau
Taichi NAKAE
Chamoiseau creuse, pour renouveler le mythe de l’île déserte, « l’interstice » laissé par ses deux précurseurs, Defoe et Tournier. Si la plupart des recherches interrogent la réécriture de Chamoiseau du point de vue postcolonial, le présent article propose une lecture éco-critique de L’Empreinte à Crusoé, en comparant la description que fait Chamoiseau des animaux naufragés avec celles qui se trouvent dans les romans de Defoe et de Tournier.
Dans les romans de Defoe et Tournier, plusieurs animaux échouent sur l’île déserte en même temps que Robinson. Chez Defoe, les animaux venus de l’Occident n’ont de valeur qu’à la condition qu’ils ne s’ensauvagent pas et restent les compagnons de leur maître, qui craint l’envahissement de la nature sauvage dans son royaume civilisé. Les chatons, croisement des races européenne et indigène, sont donc victimes des massacres commis par Robinson Crusoé.
Certes Vendredi ou les limbes du Pacifique, souvent considéré comme l’expression d’un retour à la nature, marque un tournant écologique dans la robinsonnade, mais son île déserte est un espace clos, un écosystème exclusif où les êtres allogènes ne peuvent survivre, à l’exception de Robinson. Ainsi, les rats européens se font exterminer par les rats indigènes.
Dans L’Empreinte à Crusoé où le héros est amnésique, ce n’est pas le navire échoué, mais le courant marin qui transporte les animaux sur l’île déserte. À l’opposée de ceux de Robinson Crusoé et de Vendredi ou les limbes du Pacifique, les animaux allogènes comme le singe et les opossums se mêlent sans difficulté aux espèces indigènes. Cette vision de la nature créolisée, et de la perméabilité du monde extérieur et du monde intérieur, représente, pour reprendre une expression d’Écrire en pays dominé, une « île déserte ouverte » faisant contraste avec l’île déserte en tant qu’ « absolu » de Tournier, qui est complètement séparée du dehors.
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