抄録
Dans la conclusion de Généalogie de la psychanalyse. Le commencement perdu (1985), ouvrage constitué des textes des séminaires tenus à l’université d’Osaka, Michel Henry a fait mention de « mille et une statues de Kannon Bosatsu » qui se place au Sajūsangen dō de Kyoto. Il affirmait avec raison que Kannon, la déesse de la compassion, est la puissance, c’est-à-dire « la possibilité infinie et indéfinie de donner et de sauver ». Malgré cette remarque, Henry n’a jamais abordé la question de la compassion, de l’aumône, dont la puissance est censé appartenir à Kannon, dans le texte de cet ouvrage où le vouloir-vivre chez Schopenhauer et la volonté de puissance chez Nietzsche ont été cependant soumis à l’analyse minutieuse. C’est d’autant plus curieux et incompréhensible que Schopenhauer avait mis l’idée de compassion (Mitleid) au centre de sa philosophie, vouée à provoquer la critique sévère de Nietzsche. Voici donc la question fondamentale qui doit se poser dans cet article: pourquoi Henry n’y a-t-il pas du tout examiné la compassion de près, bien qu’il ait tenté de trouver diverses idées significatives de la primauté de l’affectivité dans les textes de Schopenhauer et de Nietzsche? Ayant pour objet de résoudre cette question, l’analyse se compose de trois étapes: 1) prenant toute la perspective phénoménologique de son principal ouvrage L’essence de la manifestation (1963) en considération, nous expliquons comment Henry estime la compréhension schopenhauerienne de la vie ou de la souffrance; 2) nous constatons dans quel point la pensée de Nietzsche pour Henry arrive à surmonter des difficultés auxquelles Schopenhauer s’est heurté; 3) nous montrons quelles modifications la problématique de la compassion peut exercer sur ces interprétations de Schopenhauer et de Nietzsche dans Généalogie de la psychanalyse, et la rapportons au développement philosophique du dernier Henry.