抄録
Cet article a pour objectif de mettre en relief le trait caractéristique de la pensée du corps que Levinas développe dans ses premiers ouvrages, en la confrontant à celle de Henry. Ce dernier met en avant le corps subjectif, qui est l’ego lui-même, c’est-à-dire qui, en se mouvant, s’éprouve lui-même sans distance. Lorsque ma main droite touche ma main gauche, celle-là s’éprouve toujours elle-même, et celle-ci, tout en devenant quelque chose d’extérieur, n’apparait jamais sous l’horizon du monde. En revanche, selon Levinas, qui privilégie l’expérience de la marche, le mouvement du corps dessine un champ spatio-temporel propre dans lequel ce corps se meut. Dans cette structure itérative, le corps se situe toujours déjà dans l’horizon du monde. Cette perspective se trouve dans la théorie du monde élémental que Levinas met en œuvre dans Totalité et infini. Alors que chez Henry, qui est fidèle à la tradition du spiritualisme français, la réalité du monde réside dans la résistance absolue qu’il oppose au mouvement de la main, chez Levinas, elle signifie qu’il demeure absolument indéterminé à travers le mouvement de la main qui y saisit des choses. Le corps ne peut jamais dépasser l’indétermination du monde élémental, ce qui se confirme par le fait que la main peut rater son coup. Cependant, on peut trouver la pensée lévinassienne de la résistance absolue du monde dans De l’existence à l’existant. Après avoir défini le corps comme accomplissant ma position sur terre, Levinas y décrit cette position par le sommeil, qui consiste à se coucher ici. Au contraire de Henry pour qui l’ici coïncide avec l’ipséité de la subjectivité absolue, pour Levinas, se coucher ici, c’est être totalement supporté par la terre, qui résiste absolument à tout le poids de mon corps.