抄録
Michel Henry conçoit la subjectivité comme le fait d’être enchaîné à soi, comme un attachement irrémissible de soi à soi-même. Et c’est en des termes similaires que Levinas caractérisait la subjectivité au sortir de la guerre. Partant de ce constat, cet article compare la philosophie d’Emmanuel Levinas durant les années 1940 avec celle de Michel Henry pour mettre à jour leurs divergences plutôt que leurs ressemblances.
Pour Henry, l’enchaînement à soi signifie l’identité complète de l’être avec soi-même dans l’immanence, laquelle constitue l’auto-manifestation de la « transcendance ». Levinas comprend de manière apparemment similaire l’enchaînement dans l’auto-identification de l’être, laquelle coïncide avec l’événement où l’être-verbe se substantifie. Cependant, chez Levinas, l’enchaînement présuppose un mouvement de « recul » et l’identification de l’être n’est possible que s’il y a un décalage de l’être et de soi créé par ce « recul ». Cette différence dans la manière dont Henry et Levinas envisagent respectivement cette idée d’enchaînement provient du fait qu’ils situent la subjectivité à des niveaux ontologiques autres. Si notre hypothèse est exacte, l’idée d’« hypostase », laquelle anticipe alors chez Levinas ce qu’il nommera plus tard le « Même », correspond à la « transcendance » henrienne – auto-manifestation incomplète à laquelle Henry oppose l’ « immanence ».
Alors que Henry remonte au-delà de la « transcendance » vers l’« immanence », Levinas dans les années 40 reste au niveau de la « transcendance ». Ce fait ne montre cependant nullement l’insuffisance de la philosophie lévinassienne, puisque sa pensée ultérieure avance en approfondissant la notion de « recul », qu’il rencontre dans la « transcendance » au sens henrien, pour dépasser cette « transcendance » même. Ces deux conceptions de l’enchaînement marquent ainsi la divergence des démarches de ces deux philosophes dans leurs efforts pour dépasser la « transcendance ».