Dans son roman Le Compagnon du Tour de France(1840), George Sand décrit les relations sentimentales entre un homme de la classe ouvrière, Pierre Huguenin, et une fille de l’aristocratie, Yseult de Villepreux. Pierre n’a pas reçu seulement la beauté et le talent qui lui est reconnu dans son art de menuisier, mais aussi l’intelligence et l’instruction. Grâce à cette image un peu idéalisée, il gagne l’amour d’Yseult, par-dessus le fossé qui sépare leurs classes sociales respectives. Mais le dégoût que lui inspire la richesse, et la solidarité qu’il éprouve envers ses camarades qui souffrent de la pauvreté, le poussent à refuser le mariage. On considère parfois que Sand prête une valeur édifiante au renoncement, voire au sacrifice, que Pierre s’impose à lui-même. À l’inverse de cette lecture, nous soutenons ici une interprétation de son attitude comme étant causée par une perte d’estime de soi. Un essai du penseur socialiste Pierre Leroux, De l’Humanité(1840), apporte, à l’appui de cette thèse, des arguments dont la pertinence se mesure à l’intensité de ses relations amicales avec Sand à l’époque où elle écrivait ce roman, et à la profondeur de l’influence qu’il eut sur la formation des idées de cette écrivaine. Le rapprochement de ces deux ouvrages, de la théorie et de la fiction, éclaire le roman d’une lumière nouvelle.
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