Le présent article a pour but de montrer comment la règle dite de cliticisation en 'en' des compléments adnominaux en français (voir l'example (1)) doit être formulée pour pouvoir expliquer la grammaticalité de (1) et de (3) d'une part, et l'agrammaticalité de (2) et de (4) d'autre part.
(1) a. J'en connais l'auteur. (du livre)
b. Il en a recouvert la table d'une partie. (du tissu)
(2) a. *J'en ai téléphoné à l'auteur. (du livre)
b. *Il en a recouvert la table d'un plan. (de Paris)
(3) a. Le chef en est puissant. (de la bande)
b. L'auteur en est célèbre. (du livre)
(4) a. *Le chef en est habitué à la prison. (de la bande)
b. *L'auteur en est furieux. (du livre)
Pour ce faire, nous avons proposé la contrainte fonctionnelle suivante:
(5) Contrainte thématique sur la cliticisation en 'en'
Cliticiser le complément adnominal en 'en', si et seulement si celui-ci est le thème de la phrase.
Nous entendons ici par "thème" ce dont on parle dans un discours donné. Regardons à titre d'exemple comment cette contrainte rend compte du contraste entre (1a) et (2a). Le test auquel nous avons eu recours afin de distinguer le caractère thématique du caractère non-thématique d'un SN dans une phrase, consiste à voir, grosso modo, si un tel SN peut apparaître dans la tournure thématique : "Ce que je peux te dire de SN, c'est que P". Si tel est le cas, ce SN peut être qualifié de "thème" de P. Sinon il ne l'est pas. Essayons de voir de plus près les cas de (1a) et de (2a) : en ce qui concerne (1a), étant donné la grammaticalité de (6),
(6) Ce que je peux te dire de ce livre, c'est que je (en) connais l'auteur.
le complément du nom 'livre' peut être le thème de la phrase (7).
(7) Je connais l'auteur du livre.
D'où la grammaticalité de (1a) (par suite de l'application du placement de clitique (PL-CL), consistant à déplacer 'en' en position prévervale). Par contre, en ce qui concerne (2a), l'agrammaticalité de (8)
(8) *Ce que je peux te dire de ce livre, c'est que j'ai téléphoné à l'auteur.
montre que le même complément du nom 'livre' ne peut être thématique dans (9).
(9) J'ai téléphoné à l'auteur du livre.
D'où l'agrammaticalité de (2a).
Cette analyse a plusieurs avantages par rapport à celles proposées précédemment par KAYNE (1975) et COUQUAUX (1980).
Premièrement, elle permet d'expliquer pourquoi le type de phrase (1b) est bien-formée à l'encontre du principe "A-sur-A". Selon notre analyse, le facteur régissant la dérivation, par exemple, (7)→(1a) n'est pas d'ordre structural, mais fonctionnel. Plus particulièrement, ce qui est responsable de l'agrammaticalité de (2a, b), ce n'est pas le bloquage du placement du clitique 'en' (PP) à partir d'un PP plus large ; cela est dû à l'impossibilité même de la cliticisation en 'en' des compléments adnominaux en question, étant donné que ces derniers n'ont pas de fonction thématique dans les phrases dont ils sont les constituants. Cette hypothèse rend compte également de l'impossibilité d'apparition de 'en' dans le cas où le principe "A-sur-A" n'est pas violé. Par exemple :
(10) a. Il a examiné les configurations de ce type.
b. *Il en a examiné les configurations.
(11) a. Il a lu le journal du soir.
b. *Il en a lu le journal.
Deuxièmement, elle peut aussi expliquer le contraste entre (3) et (4), ce qui n'est pas le cas dans l'hypothèse de COUQUAUX.
Troisièmement, ce qui est plus significatif à cet égard, c'est qu'il y a des locuteurs qui acceptent (12) et (13) comme grammaticales.
(12) La mode en a choqué pas mal de gens. (des mini-jupes)
(13) Le résultat en a démontré que l'hypothèse de Luc était fausse (de cette expérience)
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